Un système national de services de garde à l’enfance « parce qu’on est en 2015 »
Martha Friendly
Executive Director,
Childcare Resource and Research Unit
La meilleure « ligne » de la première journée du gouvernement Trudeau, qui a reçu une grande couverture et les éloges de la presse internationale, fut celle du nouveau premier ministre. En réponse à un journaliste qui lui demandait pourquoi il avait choisi de former un conseil des ministres à parité hommes et femmes, il a répondu tout naturellement « parce qu’on est en 2015 ». Cette déclaration apparemment si simple résume en quelques mots un ensemble complexe d’attitudes, de croyances, voire de visions du monde. Pour les féministes qui demeurent résolument optimistes malgré une décennie suffisamment obtuse pour venir même à bout de l’optimisme légendaire d’Anne aux pignons verts, la déclaration du PM a soulevé l’espoir que le lustre de cette première journée est peut-être le présage de changements plus importants à venir.
L’observation de M. Trudeau s’inscrit dans une autre « demande » féministe, une demande qui est un pilier du programme des féministes depuis 45 ans : un système solide et universel d’éducation préscolaire et de garde à l’enfance financé par l’État, à l’instar de ce que beaucoup d’autres pays se sont donné; un système bien pensé de manière à simultanément promouvoir l’égalité des femmes, soutenir les jeunes familles de toutes les tranches de revenus et favoriser l’épanouissement des enfants.
Les féministes sont un groupe parmi beaucoup d’autres à être passionnément convaincus que, suivant la publication il y a 45 ans du rapport de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme, la réponse à savoir « pourquoi un système national de services de garde à l’enfance de qualité et cohérent est= nécessaire » est simplement « parce qu’on est en 2015 ».
« Parce qu’on est en 2015 » tient lieu à une foule d’autres arguments simples. Les services de garde demeurent aujourd’hui la rampe d’accès à l’égalité en emploi. Les recherches économiques démontrent que les services de garde contribuent à stimuler l’économie en encourageant la présence des femmes sur le marché du travail. Les services de garde permettent à la génération de pères et de mères « pris en sandwich » de concilier leurs responsabilités familiales et professionnelles et de joindre les deux bouts. Sans services de garde, il est impossible d’aider les familles à sortir de la pauvreté ou les nouveaux arrivants à s’établir.
Il y a accumulation de recherches démontrant que lorsque les services d’éducation préscolaire et de garde à l’enfance sont de bonne qualité et inclusifs, ils fournissent aux jeunes enfants un environnement extraordinaire au sein duquel ils peuvent s’épanouir, peu importe qu’ils soient de la classe moyenne ou qu’ils soient défavorisés, qu’ils aient ou non un handicap ou qu’ils soient francophones, anglophones ou autochtones.
La plupart des femmes qui ont des enfants, plus de 77 pour cent ont des enfants de trois à cinq ans, ont un emploi, sont aux études ou en apprentissage de la langue du pays ou s’investissent dans d’autres activités. Pourtant, une pièce essentielle de l’infrastructure sociale requise pour les soutenir fait encore défaut au Canada en 2015. Aussi, beaucoup de familles qui n’ont pas « besoin » à proprement parler de services de garde choisissent d’inscrire leurs jeunes enfants à des programmes éducatifs afin de favoriser leur socialisation et leur apprentissage, comme c’est le cas dans de nombreux autres pays pour les enfants âgés de deux ans à deux ans et demi.
À présent que la poussière électorale est retombée et que le nouveau gouvernement se met au travail, le moment est opportun d’examiner les engagements qu’il a pris en cours de campagne en matière de services de garde. Dans la plateforme libérale, on pouvait lire, « Nous élaborerons un cadre national pour la garde d’enfants qui répond aux besoins des familles canadiennes, peu importe où elles vivent… » et « … nous collaborerons avec les provinces, territoires et communautés autochtones pour commencer à nous pencher sur un nouveau Cadre national d’éducation préscolaire et de garde d’enfants qui permettra aux familles canadiennes de bénéficier de services de garde d’enfants de haute qualité, souples et entièrement inclusifs. Ce travail commencera dans les cent premiers jours qui suivront l’élection d’un gouvernement libéral et sera financé par nos investissements dans les infrastructures sociales. Ce cadre élaboré conjointement sera mis de l’avant en collaboration avec les provinces et dans le plus grand respect de leurs champs de compétence ».
Les libéraux s’engageaient également et de façon explicite à mettre de l’avant « des politiques fondées sur la recherche et des données probantes et des pratiques exemplaires en matière d’éducation préscolaire et de garde d’enfants ». Le Canada en tant que pays « traînard » en matière de services de garde est en position d’apprendre beaucoup de sa propre expérience, mais aussi des données probantes d’autres pays en ce qui concerne les meilleures (et pires) politiques et pratiques dans le domaine. Ce corpus de recherches et d’analyses peut s’avérer important puisqu’il existe maintenant des données substantielles sur les moyens les plus efficaces d’aller de l’avant pour instaurer au Canada ce système universel tant attendu de services éducatifs et de garde l’enfance de qualité, financés par l’État et administrés dans le secteur public.
Dans une vidéo préparée par le Parti libéral du Canada sur les orientations du parti en matière de garde d’enfants dans le cadre du congrès Services de garde 2020 de novembre dernier, M. Trudreau affirmait « qu’en tant que pays, il nous faut prioriser l’accès aux services de garde pour toutes les familles qui en ont besoin. Les services doivent être abordables, accessibles et de la meilleure qualité possible. Lorsqu’il s’agit du développement de nos enfants, on ne peut pas couper les coins ronds ». Au cours de l’émission The House de la CBC au printemps dernier, M. Trudeau déclarait : « Nous nous engageons à ce que les parents aient accès à des services d’éducation préscolaire abordables et de qualité pour leurs enfants, cela ne fait pas de doute » et il concluait en disant, « Je crois qu’il faut faire preuve de leadership à l’échelle nationale afin de doter le Canada de services éducatifs et de garde à l’enfance ».
Le volet des services de garde constitue une des trois composantes de la politique du Parti libéral visant à assurer Une plus grande sécurité financière pour les familles de la classe moyenne. Une deuxième composante est la nouvelle Allocation canadienne aux enfants fondée sur le revenu proposée par le parti qui fusionne l’actuelle Prestation fiscale canadienne pour enfant (PFCE) et les chèques de Prestation universelle pour la garde d’enfants (PUGE) de Harper et des conditions de travail plus souples, notamment des congés parentaux plus flexibles, sont la troisième composante.
Toutefois, le Fonds d’infrastructure sociale ne contient pas de financement réservé en tant que tel pour les services de garde. Par conséquent, il reste d’autres aspects importants à développer au chapitre du programme national de services de garde proposé par le nouveau gouvernement — même s’il contient bon nombre des éléments essentiels pour assurer le bon fonctionnement du système.
L’élection fédérale de 2015 a été la première élection au cours de laquelle les services de garde ont été un enjeu électoral de premier plan et la première au cours de laquelle trois des quatre principaux partis politiques, pour lesquels 70 pour cent de la population canadienne a voté, ont promis d’instaurer un programme national de garde d’enfants. Mentionnant que le NPD était le parti qui avait surtout porté le dossier des services de garde durant la campagne, le Toronto Star, dans son appui à M. Trudeau, notait que « s’il obtient le pouvoir, il faudrait [qu’un programme national de services de garde] fasse partie de son programme ». Le Toronto Star écrivait qu’il était « grand temps qu’on ait un programme national de garde d’enfants » et que sa création s’inscrivait tout à fait dans la tradition du Parti libéral étant donné que le « gouvernement de Paul Martin était celui qui avait d’abord proposé un tel plan national, il y a de cela plus d’une décennie ».
En 2015, il est cruellement évident que l’approche bigarrée et marchande du Canada en matière de services de garde est un échec pour presque tout le monde et que les jeunes familles canadiennes vivent dans un des rares pays riches de la planète qui ne les soutient pas convenablement. Même si la tâche n’est pas facile, lorsque le nouveau gouvernement fédéral rencontrera les provinces dans les cent premiers jours de son mandat, relever le défi de jeter les bases d’un véritable programme national de garde d’enfants fondé sur des données probantes, s’inscrit tout à fait dans la décision annoncée hier de former un conseil des ministres talentueux, diversifié et à parité hommes et femmes.
Et cela s’avérerait tout à fait indiqué pour la raison bien simple « qu’on est en 2015 ».